Atlas Social d'Angers

Le dessous des cartes de la douceur angevine

Les collèges d’Angers Loire Métropole : les déterminants sociaux et territoriaux d’un cadre de vie scolaire


Utilisation d’un outil statistique récent, l'IPS, pour l’analyse des disparités sociales et territoriales

par Christian Pihet

planche publiée le 06 septembre 2023

Disponible depuis 2022, mais créés en 2016, l'IPS (Indice de Position Sociale) des établissements scolaires a essentiellement servi à mesurer leur hétérogénéité sociale. L’analyse à fine échelle, associée à d’autres variables comme leur implantation et dynamique, suggère que l'IPS peut également mesurer les représentations territoriales et les « effets de lieux » des stratégies des familles concernées.

Un outil et ses limites : les IPS des collèges

1L’indice de position sociale (IPS)1 est un outil de mesure quantitatif de la situation sociale des élèves. Plus cet indice est élevé, plus l’élève bénéficie d’un contexte social et familial favorable en principe à la réussite scolaire. Cet indice créé en 2016 à partir des catégories socio-professionnelles des parents2 est public depuis 2022 suite à une décision de justice. Il doit servir à une meilleure attribution de moyens aux établissements scolaires. Toutefois il s’agit d’une moyenne par établissement qui ne permet pas de mesurer des disparités internes aux établissements par classe et par filière. Il n’autorise pas non plus à « évaluer » ces établissements, évaluation qui relève d’autres outils.

2Notre choix d’analyse se limite ici aux élèves des collèges publics et privés qui regroupent la quasi-totalité des écoliers entre 11 et 15-16 ans d’un territoire. La moyenne nationale des IPS pour cette tranche d’âge est de 103. Il convient également de prendre en compte la « carte scolaire » c’est-à-dire la sectorisation territoriale des collèges publics – elle n’existe guère pour les établissements privés – et les demandes de dérogation qu’elle suscite3.

3La description des IPS des établissements locaux, particulièrement leur dispersion, permet par association avec d’autres sources d’approcher non seulement les caractéristiques des territoires d’implantation et de recrutement mais aussi les stratégies de choix des parents entre le public et le privé ainsi que les effets des dérogations à la sectorisation. Il en résulte une approche des niveaux sociaux des populations fréquentant les établissements. En conclure au-delà, notamment sur les ségrégations territoriales d’ensemble, serait à notre avis imprudent au regard des limites de cet outil.

Les collèges d’Angers Loire Métropole : entre héritages culturels et effets de métropolisation

4La répartition et le rôle des IPS sur les collèges d’Angers ont été déjà présentés par E. Cartayrade dans des articles parus dans Ouest-France (5 juin 2023) particulièrement sous l’angle de la mixité sociale et de leur écart entre « public et privé ». Ce n’est pas principalement notre propos. Le périmètre d’étude choisi est celui d’Angers Loire Métropole (Communauté urbaine). Il bénéficie d’une adhésion fonctionnelle, en particulier pour les transports et axes de circulation ainsi que d’une identité émergente, autour de la métropole.

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Sources : Les effectifs viennent du Ministère de l’Education Nationale, voir en ligne, et la sectorisation vient du département de Maine-et-Loire, voir en ligne. Réalisation : ESO-Angers, Université d'Angers-CNRS, 2023

Répartition des effectifs des collèges d’Angers-Loire-Métropole (2021)

527 collèges se trouvent à Angers-Loire-Métropole, avec une centralité forte d’Angers qui en totalise 70% avec 19 établissements. Leur répartition suit approximativement l’histoire urbaine et ses évolutions démographiques. Ainsi on observe des implantations anciennes et parfois prestigieuses dans les quartiers du centre et à leur proximité : 8 collèges sur 19 comme par exemple les collèges issus des lycées « historiques », David d’Angers ou Saint-Martin devenu Saint-Benoit. Au-delà du Centre-ville on observe des implantations plus récentes liées à l’expansion urbaine des quartiers périphériques (la Roseraie, Monplaisir, Belle Beille) et aussi dans les principales communes de banlieue, Avrillé, Les Ponts de Cé, Saint-Barthélemy-d'Anjou avec le collège de la Venaiserie. Néanmoins des communes péri-urbaines peuplées ne disposent pas de collège, comme Bouchemaine ou Beaucouzé, malgré des demandes insistantes d’habitants. Cette centralité au bénéfice des établissements déjà installés est d’autre part stable, malgré les variations des effectifs : ainsi à l’absence de création dans les cinq dernières années correspond l’incapacité sociale et politique de fermer des collèges dans des milieux en déprise démographique comme pour Jean-Lurçat à Monplaisir.

Variation des effectifs des 27 collèges d’ALM (2015-2021)

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Source : Ministère de l’Education Nationale, 2023.

En 7 ans, entre 2015 et 2021, les 27 collèges d’ALM ont gagné 814 élèves, surtout pour le secteur privé (+506 élèves, soit une variation de +8%) par rapport au secteur public (+308 élèves soit une variation de +4%).

6Comme le souligne le graphique de la variation des effectifs entre 2015 et 2021, la répartition est assez équilibrée entre les enseignements publics et privés confessionnels, fait qui est une des originalités majeures et historiques de l’Ouest. Il y a dans la population locale une tradition familiale en faveur du choix des établissements confessionnels. Notons néanmoins que la part du privé progresse légèrement sur les dernières années, de 43% des effectifs à 44% en 2021. La grande majorité des établissements privés se situe dans Angers centre et immédiatement autour, avec les plus connus comme Saint-Benoit ou Mongazon ; toutefois ce paysage semble moins figé que celui du secteur public avec des établissements en périphérie, parfois récents ou relocalisés avec des augmentations sensibles d’effectifs comme à Verrières-en-Anjou ou aux Ponts-de-Cé, ce qui est une conséquence de la croissance démographique de ces secteurs.

Effet de choix social, effet de lieu : quelle signification donner aux IPS ?

7Beaucoup de travaux mettent en avant une interprétation sociologisante des IPS fondée sur une ségrégation sociale explicative du choix du public et du privé4. Les analyses publiées à Lille et sur la région parisienne vont dans ce sens.

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Sources : Ministère de l’Education Nationale, 2023. Réalisation : ESO-Angers, Université d'Angers-CNRS, 2023

L’IPS des collèges d’Angers-Loire-Métropole (2021)

8Or les données angevines indiquent une réalité plus complexe. La moyenne locale des IPS est légèrement supérieure à la moyenne nationale, 106 contre 103 et l’on observe un écart entre les IPS privés (121) et ceux du public (95). Mais l’analyse de la distribution par collège montre que 21 des 27 collèges se situent entre 80 et 120 et que seulement 3 établissements publics situés dans des quartiers « prioritaires » (QPPV) sont entre 58 et 67 et 3 collèges privés implantés dans le centre historique au-dessus de 125.

Evolution de l’IPS des 27 collèges d’ALM (2015-2021)

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Source : Ministère de l’Education Nationale, 2023.

L’IPS des collèges d’ALM varie peu mais est fortement contrasté entre le secteur privé et le secteur public : en 2021 il est de 121 dans le privé alors qu'il est de 95 dans le public.

9Le collège public Chevreul, situé en centre-ville, bénéficie d’un IPS de 123 tandis que celui du collège privé de l’Immaculée Conception dans le quartier populaire de la Roseraie plafonne à 100. Cet exemple est probablement exceptionnel mais pas tant que ça si l’on regarde établissement par établissement. De fait, pour reprendre l’expression de Botton et Souidi (2023) la question discriminante est celle du « collège d’à côté », c’est-à-dire du territoire.
Il n’est pas question de nier le rôle du choix stratégique et financier qui conduit les catégories aisées à privilégier le secteur privé mais il convient aussi d’intégrer le choix de la « réputation », c’est-à-dire un peu schématiquement la composition sociale du territoire d’implantation. Le rapprochement cartographique avec les quartiers de la politique de la ville (QPPV) est éclairant.

10Il faut aussi prendre en compte les demandes de dérogation à la carte scolaire. Celles-ci sont généralement considérées comme un facteur d’évitement social et donc d’accentuation des ségrégations au bénéfice du privé. Cette réalité n’est pas niable mais elle doit se combiner avec d’autres caractéristiques de type « métropolitain » comme la dispersion en ville et autour des lieux d’emploi des parents, le réseau des transports et évidemment l’image des territoires.
Pour conclure, compte tenu du caractère spécifique de l’agglomération angevine, notamment de sa taille et de la prégnance de l’enseignement catholique, on peut estimer que l’analyse des IPS des collèges laisse penser que les choix d’une scolarisation et de son statut proviennent d’un processus associant l’appartenance sociale, l’héritage culturel familial et les représentations des territoires5. Il en résulte donc un « effet de lieu 6» sans doute spécifique à Angers en raison d’un cadre de vie attractif forgé par l’histoire urbaine et renforcé par le statut ancien de centre intellectuel (« l’Athènes de l’ouest » évoquée au siècle précédent). Néanmoins cet effet doit se retrouver dans d’autres villes avec des facteurs différents7.

Notes

1 Les données sont accessibles sur le site du Ministère de l’Education Nationale en open data à cette adresse

2 Thierry Rocher, Construction d’un indice de position sociale des élèves, Education et formation, DEPP, 2016, 90, pp.5-27

3 Les données spatiales de la carte scolaire des collèges publics de Maine-et-Loire sont accessibles en open data sur le site du département à cette adresse

4 Romain Imbach et Violaine Morin, Entre école publique et école privée, les chiffres de la fracture sociale, Le Monde.fr, 8 novembre 2022.

5 News tank, Etre indépendant ne signifie pas être hors-sol : les enjeux et les projets de la Direction de l’évaluation et de la Prospective (DEPP), interview de F. Rosenwald, 23/01/2023

6 Selon l’interprétation du volume collectif « Géographie sociale », 1984, Paris, Masson.

7 Pour plus de détails cartographiques et d’information pour chaque collège, vous pouvez consulter la carte interactive en ligne : Les collèges d'Angers Loire Métropole

Pour citer ce document

Christian Pihet, 2023 : « Les collèges d’Angers Loire Métropole : les déterminants sociaux et territoriaux d’un cadre de vie scolaire », in H. Davodeau, L. Guillemot & S. Giffon, Atlas Social d'Angers [En ligne], eISSN : 2968-0255, mis à jour le : 11/09/2023, URL : https://atlas-social-angers.fr:443/index.php?id=1102, DOI : https://doi.org/10.48649/asda.1102.

Bibliographie

BEN AYED Choukri, La mixité sociale à l’école : Tensions, enjeux, perspectives, Armand Colin, 224 p., 2015.

BOTTON Hugo et SOUIDI Youssef, Le collège d’à côté, La vie des idées, 2022. Voir en ligne.

CARTAYRADE Etienne, Mixité sociale : le grand écart entre public et privé, Ouest-France, 5 juin 2023.

IMBACH Romain et MORIN Violaine, Entre école publique et école privée, les chiffres de la fracture sociale, Le Monde, 8 novembre 2022.

LY Son-Thierry, RIEGERT Arnaud, Mixité sociale et scolaire et ségrégation inter- et intra-établissement dans les collèges et lycées français, Rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO), 56 p., 2015. Voir en ligne.

MERLE Pierre, La ségrégation scolaire, Paris : La découverte, 126 p., 2012.

OBERTI Marco, L'école dans la ville : ségrégation-mixité-carte scolaire, Presses de Sciences Po, 304 p., 2007.

VAN ZANTEN Agnès, Le choix des autres, Actes de la recherche en sciences sociales 5, pp. 24-34, 2009.

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Christian Pihet

Christian Pihet est géographe, professeur émérite à l'Université d'Angers et appartient à l’UMR ESO unité 6590 du CNRS.

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Résumé

Disponible depuis 2022, mais créés en 2016, l'IPS (Indice de Position Sociale) des établissements scolaires a essentiellement servi à mesurer leur hétérogénéité sociale. L’analyse à fine échelle, associée à d’autres variables comme leur implantation et dynamique, suggère que l'IPS peut également mesurer les représentations territoriales et les « effets de lieux » des stratégies des familles concernées.

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