Atlas Social d'Angers

Le dessous des cartes de la douceur angevine

La carte amusante de Belle-Beille

par Elise Geisler

planche publiée le 30 avril 2023

La carte amusante de Belle-Beille a été réalisée dans le cadre d’un projet collectif des étudiant.e.s du Master 2 PEPS (Paysage Environnement Participation Société) de l'Université d'Angers-Institut Agro en 2022-2023. Ce projet, à la demande de la maison de quartier Jacques Tati, visait à spatialiser et caractériser les pratiques de jeux des enfants, ainsi qu’à comprendre la place qu’occupe pour eux le terrain d’aventure dans le quartier. La carte subjective, issue de plusieurs ateliers menés sur le terrain et en salle de classe, permet de mieux comprendre la multiplicité des pratiques de jeu dans le quartier, et qui sait, de favoriser leur meilleure prise en compte par les acteurs de la rénovation urbaine du quartier.

Remerciements
La carte amusante de Belle-Beille a été réalisée avec et d’après les idées et dessins de Aghiles, Alexandro, Alice, Alida, Ambre, Awa, Cassidy L., Cassidy U., Célia, Chanel, Chérine, Christy, Devon, Elyssia, Esteban, Gabriel, Inaya, Isak, Ishak, Ismaeël, Jean-François, Jilhan, Kendry, Léana, Léna, Liam, Luna, Mahmoud, Maïssa, Manel, Marwan, Mathéo, Mélina, Mohamed-Ali, Moustafa, Naïla, Naïm, Nasrine, Nejma, Noura, Raphaël, Sacha, Wassil, Yanis, Ziyad.
Il s’agit d’un projet collectif des étudiant.e.s du master 2 PEPS (Paysage, Environnement, Participation, Société) : Marine Barithel, Adrien Bonenfant, Baptiste Dalix-Pelvoizin, Kamélia Hamrani, Clémentine Marty, Victor Theet et Xiaoxuan Zhou.
Avec l’aide de Catherine Jourdan, dont le travail a beaucoup inspiré la carte, leurs encadrant.e.s (Hervé Davodeau, Elise Geisler et Chloé Jaréno de l’Institut Agro d’Angers), les instituteurs de l’école Robert Desnos (Thibaut Bachalerie et Hugues Lecomte), et le centre Jacques Tati (Raphaël Cerniaut et Sophie Guérineau).

Quelle place pour les enfants en ville aujourd’hui ?

1Depuis les années 2010, la question de la place de l’enfant en ville est activement réinvestie par les chercheurs en sciences humaines et sociales (Delaunay, 2018 ; Garnier, 2015 ; Legué-Dupont, 2005 ; Paquot, 2015 ; Rivière, 2021 et 2012), les praticiens de l’aménagement, les associations et les pouvoirs publics1, dans un contexte sanitaire témoignant des risques (obésité, pertes sensori-motrices…) liés à un cadre de vie hérité de l’ère moderne (grignotage des espaces de jeu de proximité, développement des déplacements motorisés…), favorisant la sédentarité et le repli chez soi. C’est au prisme de la promotion d’un urbanisme plus respectueux de l’environnement et de l’implication des habitants dans la fabrique de la ville que la place de l’enfant dans l’espace public est aujourd’hui à nouveau questionnée, tout comme la possibilité pour ce dernier de penser (et d’agir sur) ses espaces de jeux.

Des terrains d’aventure pour réinventer la place des enfants en ville ?

2Ces aspirations ne sont pas nouvelles. Des « terrains d’aventure » se sont développés, depuis leur apparition après la Seconde Guerre Mondiale au Danemark, dans toute l’Europe et aux Etats-Unis à partir des années 1960. Ils avaient pour vocation de redonner une place aux enfants dans les friches de quartiers populaires en ruines, puis en chantiers dans le cadre de la reconstruction. En France, ils vont particulièrement essaimer dans les années 1970 dans les quartiers de grands ensembles, certains acteurs de l’aménagement faisant à l’époque la critique de l’invisibilisation des enfants dans la fabrique de la ville. Les principes des terrains d’aventure sont alors simples : la gratuité, le libre accès, la libre activité, et la libre disposition d’outils et de matériaux. Le rapport physique aux éléments naturels (eau, terre, air, feu) et la construction y étaient particulièrement favorisés, et les adultes seulement tolérés. Au début des années 1980, la gentrification des quartiers et le développement de loisirs encadrés et payants vont avoir raison des derniers terrains d’aventure français.

La renaissance des terrains d’aventure en France : le cas de Belle-Beille ?

3C’est cinquante ans plus tard que le concept va refaire surface en France, à partir d’une première expérience : le terrain d’aventure de Belle-Beille à Angers ! A l’initiative de la Maison de quartier Jacques Tati et du CEMEA (Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Éducation Active) Pays de la Loire, un terrain d’aventure est expérimenté dans le quartier en 2017. Sur la place de la Dauversière d’abord, puis dans le square Champagny, et enfin le long de l’avenue Notre Dame du Lac au numéro 20, le terrain d’aventure est amené à déménager et à évoluer au gré des chantiers de la rénovation urbaine en cours dans le quartier.

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Carte : ESO-Angers, Giffon, 2023

Carte de localisation et de situation du quartier de Belle-Beille

4La démarche fait germer des idées de projets ailleurs, et l’été 2022 voit l’ouverture d’une trentaine de terrains d’aventure en France. Ils reprennent les valeurs du passé (liberté, réalisation personnelle, autonomie et créativité de l’individu) et font la promotion de l’« école du dehors », point de rencontre entre l’éducation populaire des CEMEA et les institutions scolaires. Depuis quelques années, les terrains d’aventures font l’objet d’un programme de recherche international dédié par le réseau TAPLA (Terrains d’aventure du passé / pour l’avenir)2.

Vue sur l’avenue Notre-Dame du Lac depuis le terrain d’aventure de Belle-Beille à Angers

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E. Geisler, juin 2022

Des étudiants pour interroger l’avenir du terrain d’aventure de Belle-Beille à Angers

5Dans le cadre d’un projet collectif, des étudiant.e.s du master 2 PEPS (Paysage Environnement Participation Société) de l’Université d’Angers et de l’Institut Agro Rennes-Angers, promotion 2022-2023, ont été missionnés par la maison de quartier JacquesTati pour réfléchir à l’avenir du terrain d’aventure de Belle-Beille. Il leur a été demandé de chercher à voir comment ce dernier pouvait s’inscrire dans les pratiques actuelles et rêvées des enfants de Belle-Beille, dans le contexte de sa rénovation urbaine et des chantiers permanents. Ils ont ainsi étudié les pratiques de jeux des enfants dans le quartier et proposé des scénarios potentiels de localisation pour le futur terrain d’aventure à partir de plusieurs critères (situation, superficie, topographie, distance des habitations, visibilité depuis la rue, pratique préexistante de jeux sur la parcelle, présence de végétation, disponibilité de la parcelle dans le calendrier des chantiers de la rénovation urbaine).

Des ateliers avec les écoliers sur leurs pratiques de jeu dans le quartier

6Pour mener leur enquête sur les pratiques de jeux, les étudiant.e.s ont animé des ateliers auprès d’enfants de l’une des quatre écoles du quartier, l’école Robert Desnos. L’objectif de ces ateliers était de spatialiser et de caractériser leurs pratiques de jeux dans le quartier via une carte sensible, de comprendre la place qu’occupe pour eux le terrain d’aventure dans le quartier, et leur vision du projet de rénovation urbaine en cours. Pour chaque classe (une de CM1 et une de CM2), trois ateliers d’une demi-journée ont été organisés entre novembre 2022 et janvier 2023 : un parcours en petits groupes pour localiser et qualifier les pratiques de jeux à partir de prises de vue photographiques ; la cartographie du parcours réalisé en classe par groupe ; et la formalisation d’une carte collective de synthèse (choix du contenu, du titre, de la légende et de la sémiologie graphique).

Exemples des cartes produites à partir des parcours réalisés en petits groupes dans le quartier à proximité de l’école

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Etudiants M2 PEPS et élèves de CM1 de l’école Robert Desnos, décembre 2022

Une carte subjective collaborative pour témoigner de ces pratiques de jeu

7Les étudiant.e.s se sont largement inspirés du travail de « géographie subjective » ou « cartographie poétique à plusieurs » de la psychanalyste et artiste documentaire Catherine Jourdan3. Leur objectif était de co-construire une subjectivité de groupe, en intégrant les points de vue de chacun, pour formaliser une représentation commune des pratiques de jeux et des espaces publics du quartier. La carte subjective reprend dans sa forme certains codes de la cartographie conventionnelle comme l’orientation, la légende, ou encore le format plié des cartes IGN, mais s’en éloigne par le sujet même de la carte et sa façon d’en déformer les échelles spatiales et temporelles. Si ce type de carte n’a pas vocation à transformer l’espace, elle contribue à faire changer les regards.

La perception du quartier de Belle-Beille par les enfants

8La carte donne dans un premier temps à voir la représentation que les enfants ont du quartier : ses limites, ce qui en fait partie et ce qui est considéré en dehors, les espaces publics majeurs et leur qualification, les repères forts pour s’orienter.

« La Carte Amusante de Belle-Beille »

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Carte réalisée par les MASTER PEPS avec les élèves et les enseignants de CM1 et CM2 de l’école Robert DESNOS et le soutien du centre Jacques Tati, février 2023

Voir en ligne la carte amusante interactive de Belle-Beille

9On y trouve les endroits dont les enfants sont fiers (1), parce qu’ils sont beaux, sentent bon ou sonnent bien ; les endroits qui véhiculent un imaginaire particulier (2) : on découvre par exemple une partie de l’étang Saint-Nicolas à l’ouest qui fait peur et une autre partie à l’est « qui brille et qu’on regarde ». Les limites du quartier sont clairement matérialisées pour les enfants par l’étang Saint-Nicolas au nord-est, l’avenue Patton au sud, et le centre commercial Beaussier avec son Super U à l’ouest. Certains espaces, pratiqués plus ponctuellement par les enfants pour jouer, se situent à l’extérieur du quartier (3) : les quartiers d’Avrillé et de la Roseraie, le centre-ville (la mairie et le château) et le centre commercial Leclerc. Les enfants se réfèrent également à des repères (4) leur permettant de s’orienter dans le quartier : des axes de circulation et ronds-points, des bâtiments (leur école, le centre Jacques Tati, la piscine, l’église, le collège, certains magasins et restaurants), des espaces sportifs extérieurs et des lieux plus éphémères (cirque) ou plus confidentiels (la maison des chats).

Des pratiques de jeu formelles et informelles

10La carte apporte aussi de nombreuses informations sur la manière dont les enfants jouent dans le quartier, et sur la diversité des pratiques elles-mêmes. On constate en effet un accès aux lieux de jeu en couches d’oignon.

Schéma ludique du quartier

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Schéma réalisé par les étudiants en MASTER PEPS, février 2023

 

La perception du quartier de Belle-Beille par les enfants à partir d'extraits de la carte amusante

1 : Les endroits dont on est fier

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2 : Les endroits sur lesquels on se raconte des histoires (les plantes, les cachettes, etc...)

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2 : Les endroits sur lesquels on se raconte des histoires (la forêt, l'étang)

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3 : L'extérieur du quartier - Là, c'est pas vraiment Belle-Beille

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4 : Nos repaires urbains (l'école, routes, ronds-points)

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4 : Nos repaires urbains (le centre Tati, la piscine, le collège, la poste, etc...)

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4 : Nos repaires urbains (la légende et le discours des enfants)

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5 : Faire du sport (pratiques et espaces publics)

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6 : Jouer dans la vraie nature et l'observer (les végétaux - les arbres, l'herbe - et les animaux - les grenouilles, les oiseaux)

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7 : S'amuser sur les aires de jeux (Terrain d'aventures)

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8 : Les jeux dont on rêve (murs d'escalade, tyroliennes, patinoires, balançoires, etc...)

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9 : Ce qui fait peur, les interdits, ce qui est sale

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Extraits de la carte amusante de Beille-Beille

Crédits : MASTER PEPS, Université d'Angers/Institut Agro, 2023

Une carte pour changer les pratiques d’aménagement ?

11Au final, la carte produite grâce à l’enquête menée par les étudiant.e.s auprès des écolier.e.s de l’école Robert Desnos est une clef de lecture des existants et des possibles ludiques des espaces publics du quartier. Elle donne à lire comment les enfants mettent chaque jour en œuvre les principes prônés dans l’enceinte des terrains d’aventures depuis leur origine : autonomie, improvisation, prise de risque, valorisation du collectif, liens à la nature. On peut imaginer que cette meilleure compréhension des pratiques multiples de jeu dans le quartier favorisera leur prise en compte par les acteurs de la rénovation urbaine en cours, mais aussi qu’elle permettra la préservation d’espaces de jeu plus libres, plus spontanés et moins formels que les équipements habituels plus standardisés.

Notes

1 Voir à titre d’exemples le programme « Villes amies des enfants » de l’UNICEF, voir en ligne ou le projet « Place(s) aux enfants » à Grenoble, vidéo en ligne

2 Voir en ligne.

3 Voir en ligne.

Pour citer ce document

Elise Geisler, 2023 : « La carte amusante de Belle-Beille », in H. Davodeau, L. Guillemot & S. Giffon, Atlas Social d'Angers [En ligne], eISSN : 2968-0255, mis à jour le : 09/05/2023, URL : https://atlas-social-angers.fr:443/index.php?id=1063, DOI : https://doi.org/10.48649/asda.1063.

Autres planches in : Aménagement, urbanisme, logement et habitat

Sources : IGN, BDORTHO 2020. Géoportail de l'urbanisme, PLUi ALM, 2022.

Quelle qualité de vie pour les Gens du Voyage sur le territoire angevin ? (2/2)
L'habitat des Gens du voyage à Angers : impensés et pratiques locales

par Samuel Delepine

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Photo : Delépine, 2023.

Quelle qualité de vie pour les Gens du Voyage sur le territoire angevin ? (1/2)
Les Gens du voyage dans le territoire angevin : un accueil à la hauteur des enjeux ?

par Samuel Delepine

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Photo : Giffon, ESO, 2023

Les chaufferies collectives à biomasse dans leurs territoires, étude de cas dans le quartier de Belle-Beille

par Marie-Alix Bodhuin

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Carte : GIFFON, 2022

La Révision du PLUi d’Angers Loire Métropole : trois mois d’enquête publique (octobre-décembre 2020)
Entre demandes personnelles et revendications collectives

par Sigrid Giffon

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Bibliographie

DELAUNAY Fanny, Des sculptures récréatives des années 1970 aux aires de jeux contemporaines à la Grande Borne : jouer n’est pas joué, Enfances, familles, générations, n °30, 2018. https://journals.openedition.org/efg/3147

GARNIER Pascale, Une ville pour les enfants ; entre ségrégation, réappropriation et participation, Métropolitiques, 2015. https://metropolitiques.eu/Une-ville-pour-les-enfants-entre.html

LEGUE-DUPONT Pascale, L'enfant, l'oublié de la ville ?, Diversité, n°141, p. 25-31, 2055.

PAQUOT Thierry, La ville récréative, enfants joueurs et écoles buissonnières, Infolio, 180 p., 2015.

RIVIERE Clément, Les enfants : révélateurs de nos rapports aux espaces publics, Métropolitiques, 2012. https://metropolitiques.eu/Les-enfants-revelateurs-de-nos-rapports-aux-espaces-publics.html

RIVIERE Clément, Leurs enfants dans la ville. Enquête aurpès des parents à Paris et à Milan, Presses Universitaires de Lyon, Séries « Sociologie urbaine », 164 p., 2021.

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Elise Geisler

Maîtresse de conférences en architecture du paysage à l’Institut Agro à Angers

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Résumé

La carte amusante de Belle-Beille a été réalisée dans le cadre d’un projet collectif des étudiant.e.s du Master 2 PEPS (Paysage Environnement Participation Société) de l'Université d'Angers-Institut Agro en 2022-2023. Ce projet, à la demande de la maison de quartier Jacques Tati, visait à spatialiser et caractériser les pratiques de jeux des enfants, ainsi qu’à comprendre la place qu’occupe pour eux le terrain d’aventure dans le quartier. La carte subjective, issue de plusieurs ateliers menés sur le terrain et en salle de classe, permet de mieux comprendre la multiplicité des pratiques de jeu dans le quartier, et qui sait, de favoriser leur meilleure prise en compte par les acteurs de la rénovation urbaine du quartier.

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